Tout a commencé par une angoisse. Des pensées sombres qui l'ont envahi comme le lierre court sur un mur. Un mal-être général, comme si elle n'arrivait plus à respirer.
Peu à peu, Naomi s'est isolée. Elle n'a plus eu le gout des fêtes et des sorties, du faste des soirées mondaine. Elle ne voyait plus ses amis et son compagnon s'est sans doute lassé de cette attitude morose et il l'a trompé.
C'est pourquoi elle est sur la route aujourd'hui. Un mal pour un bien, car elle ne supporte plus cette vie d'apparence dans laquelle elle baigne depuis des années.
Ce monde froid et sombre des grandes villes où rien ne semble plus vivre vraiment. On consomme, on avale, mais on ne se nourrit pas, que ce soit physiquement ou intellectuellement. Il n'y a qu'en pleine nature qu'elle se sent bien, on n'a pas besoin de paraitre devant elle, il suffit d'être soi.
Il n'y a aucun jugement.
Les eaux vives des rivières l'attirent particulièrement. C'est là qu'elle se sent le mieux.
Et cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée en nature, qu'elle ne s'y était pas ressourcée. Les derniers évènements et son mal-être grandissant, il lui fallait retourner à la source.
Sa beauté lui a permis de devenir mannequin internationale. Promesse de voyage, de glamour et de luxe. Mais en réalité, elle n'est qu'une poupée que l'on habille et maquille à sa guise. On la transforme, on l'efface même parfois pour sublimer le produit. Elle n'y trouve plus rien d'attirant, ni de glorieux.
Ses longs cheveux bruns et ses grands yeux d'un gris clair rare et envoutant, on fait d'elle un modèle recherché. Son corps de rêve aux mensurations parfaites a été sublimé par des créateurs de talent et de renom, beaucoup la surnomment la nymphe.
Mais dans ce métier, rien ne dure et vous êtes vite obsolète.
Elle est devenue l'égérie de la marque de son petit ami, Victor. Elle l'avait rencontré dans une soirée à Sofia. Un jeune homme riche et ambitieux au charme asiatique. Il a fait fortune dans les nouvelles technologies et plus particulièrement dans les smartphones à énergies solaires. Un garçon extravagant aux faux airs de yakuza et fils à papa. À son bras, Naomi était comme un bijou qu'il exposait au grand public dans les soirées branché. Ainsi, on continuait à se servir de sa beauté pour vendre, séduire de potentiels acheteurs sans se soucier de savoir ce qu'elle pensait ou savait. À présent qu'ils étaient séparés, il allait devoir trouver une nouvelle égérie !
Cela est le cadet des soucis de Naomi.
Elle a perdu le gout de vivre et personne ne comprend pourquoi. Pour elle, tout est gris et terne. Ce jour fatal où elle a découvert la liaison qu'entretient Victor depuis des mois, a anéanti le peu de joie qui lui reste. Il a balayé ainsi cinq ans de vie commune où Naomi espérait encore, il y a quelques jours, avoir une demande en mariage, mais il n'en serait rien.
À 28 ans, elle se sent obsolète pour ce monde, jusqu'à se sentir étrangère. Comme une matière rare que l'on a extraite de force de son milieu naturel pour devenir un smartphone dernier cri, qui finira par être jeté quand un autre modèle plus performant arrivera sur le marché.
Naomi se sent entre deux eaux. Il lui faut trouver une nouvelle place, une nouvelle voie, reprendre son souffle et se retrouver.
Le seul endroit où elle pourrait faire cela, c'est la Cabane.
La cabane est le nom donné à une merveilleuse petite maison perdue dans une forêt immense, entouré d'une rivière où elle a passé toutes les vacances de son enfance. Elle en est l'héritière depuis dix ans, depuis la mort de sa mère, et dix ans qu'elle n'y était pas retournée.
Naomi a investi pour que la maison soit maintenue en bon état, malgré cette absence, car comme elle le dit souvent, on ne sait jamais, eh bien les circonstances lui donnant raison, elle a bien fait de compter sur les amis de sa mère dans le seul village qui borde l'immense et majestueuse forêt. Ils ont pris en main l'entretien de la maison qui se trouve sur un ilot au cœur de la foret entre les bras de la rivière.
Son téléphone sonne sans arrêt, Victor lui envoi des messages :
"Où es-tu ?" "tu me manques" "pardon" "répond bordel". Elle n'a aucunement l'intention de répondre et au contraire monte le volume de la chanson qui passe à ce moment-là de Pat Benatar : Heartbreaker, pour ne plus entendre la vibration des messages et des tentatives d'appels.
Plus elle roule et plus le paysage devient sauvage.
Plus elle s'approche de la forêt et plus, elle s'apaise. Elle savait depuis des jours qu'elle devait aller là-bas.
La nature ne vous juge pas, elle soigne les cœurs meurtris et les âmes perdues.
Sept heures de route plus tard, elle arrive au village. Des souvenirs d'enfance et de jeux lui refont surface comme de multiple madeleine de Proust.
Ce village est ancien, les vieilles pierres, la mousse, l'odeur de la forêt, elle se sent chez elle dans cette ambiance médiévale.
La nuit va bientôt tomber, mais le ciel reste encore bleu.
Elle décide de s'arrêter au seul restaurant du village : "La Taverne". Un lieu qui est resté dans son jus médiéval, les boucliers, les armures et la musique d'ambiance. Quelques personnes sont déjà à table en train de diner.
Elle s'installe à une table et quelques regards se tournent vers sa beauté et son élégance naturelle. Ce n'est pas tous les jours que l'on croise une top model international et surtout dans un lieu aussi perdu. Elle est très suivie sur les réseaux sociaux et elle craint que quelqu'un la prenne en photo et indique ainsi à Victor où elle est.
Mais les curieux retournent à leurs assiettes. Ils ne semblent pas faire partie de la génération réseaux sociaux.
L'ambiance chaleureuse de l'endroit lui fait vite oublier la longue route qu'elle a dû faire pour arriver jusque-là. Elle regardait par la fenêtre aux carreaux colorés lorsqu'elle entendit la voix suave d'un homme avec un léger accent lui parler.
- Bonsoir mademoiselle, voici le menu.
Elle se tourna vers la voix et ne s'attendait pas à voir un homme aussi beau et charismatique. Silhouette élancée, portant des vêtements blancs en lin, un air doux, des cheveux blond et long attaché de façon approximative, laissant des mèches lui tomber devant ses yeux d'un vert pastel envoutant. Elle lui sourit en prenant le menu.
- Merci beaucoup, je suis affamée !, dit-elle en plongeant son regard gris clair dans le sien. Naomi à toujours été une séductrice, c'était plus fort qu'elle et pourtant elle n'était pas prête à se lancer dans une autre relation.
Le courant passe entre eux, il répond à son sourire en soutenant son regard qu'il descend vers le creux apparent de la poitrine de Naomi qui porte une robe d'été en macramé d'un bleu marine profond, mais le regard du jeune homme s'assombrit en voyant le cristal bleu qu'elle porte à son cou.
- Faites-moi signe dès que vous aurez choisi. Dit-il en s'éloignant.
Naomi perçoit son changement d'attitude, ce cristal, elle le tient de sa mère. Elle le porte religieusement depuis ses 16 ans.
Cette pensée et l'interrogation sur l'attitude de ce beau jeune homme est interrompue par une voix aiguë qui s'écrie : "Oh, mais je rêve ? c''est toi Naomi ?
Lili Lamarre.
Elle n'a pas vu cette amie d'enfance depuis l'enterrement de sa mère.
- Oh, mais c'est génial !!! que fais-tu ici ? Dit-elle en s'installant en face d'elle.
- Je suis venue me ressourcer à la cabane.
— Sans ton chéri ? je te suis sur les réseaux sociaux et j'ai vu que tu n'avais rien posté depuis une semaine, je me suis inquiétée.
- Euh..... Oui d'ailleurs à ce propos, je suis là incognito alors pas de photo ni de post Instagram pour dire que je suis ici ok ? on n'est plus ensemble avec Victor.
— Wow... j'ai l'exclusivité de la nouvelle alors !!!
— Ravis que ma vie privée te plaise autant ainsi que mes déboires amoureux. Soupire-t-elle.
Promis, je garde le secret !, mais que s'est-il passé ?
— Il m'a trompé, fin de l'histoire et je n'ai pas très envie d'en parler en fait.
Ok, je comprends et tu comptes aller à la cabane demain ? tu dors où ce soir ?
- eh bien à la cabane en fait,
— Tu plaisantes ? tu ne vas pas aller en foret la nuit ?
Le regard de Lili devint sombre et inquiet, visiblement, elle ne plaisante pas.
— Je connais très bien cette forêt et je te rappelle que je viens d'une grande ville où il y a mille dangers pour une femme seule.
— Non, tu n'es pas venu depuis plus de 10 ans Naomi, il se passe des choses étranges dans la foret depuis quelques années. Des gens y disparaissent, des troupeaux sont mutilés dans les champs voisins.
- Vraiment ? wow..... C'est le Bronx en effet, Lili, c'est la nature, il y a des loups qui passent, même peut-être des ours, rien d'ésotérique là-dedans.
Naomi fait signe au serveur de venir.
- Vous avez choisi ?
— Oui euh .....
- Orphel, Naomi veut aller à la cabane ce soir ! l'interrompt Lili.
Orphel, c'est l'intriguant serveur. Visiblement Lili le connait assez bien pour le mêler à la conversation.
- Ce n'est pas très prudent en effet. Dit-il d'un ton grave.
- Non mais calmez-vous, je suis une grande fille, tout ira bien et je vais chez moi dormir ce soir. Ce ne sont pas quelques animaux sauvages qui vont me terrifier. J'ai été quasiment élevé dans cette foret.
- Viens chez moi et tu iras demain à la cabane. S'enthousiasme Lili.
- Lili a raison. Se risque Orphel.
- Vous êtes là pour prendre ma commande ou me donner des leçons ?
Le ton de Naomi est sec. Le serveur et Lili échange un regard inquiet.
- Orphel connait bien l'endroit, il a aidé à la rénovation de la Cabane et il connait bien la forêt et ses dangers.
- Je vais prendre un filet de saumon à peine cuit et de la salade en accompagnement.
Naomi préfère ignorer cette remarque. Peu importe qu'il connaisse bien la forêt c''est aussi le cas de Naomi.
- Bien mademoiselle. Si vous le souhaitez après le service, je peux vous escorter jusqu'à la maison.
- M'escortez ? non, mais je rêve.
Naomi commence à se sentir agacé de ces recommandations inutiles, pour elle ce ne sont des peurs de villageois et rien d'autre.
- je vais partir maintenant alors, finalement, je ne commande plus... Ma journée et ma semaine ont été assez éprouvante et j'ai besoin de calme !
- Restez. Lui dit avec douceur Orphel. Je vous offre le repas et vous demande pardon de vous avoir importuné.
Naomi respire un bon coup, elle a été un peu trop dure sans doute et sen sentait ridicule.
- Non, je paierai le repas, je suis désolée de m'être emporté, mais je suis un peu fatiguée.
- Pardon Naomi, je vais te laisser diner tranquillement. Dit Lili en se levant.
- Non, reste Lili et raconte-moi les derniers potins du village.
Lili heureuse de cette proposition, prend son assiette et s'installe en face de Naomi.
- Que veux-tu savoir ?
- mmmm... tout d'abord qui est ce Orphel et c'est quoi ce prénom et cette façon de parler ? il est canon !!
- Orphel, oui, je te le confirme, un vrai beau gosse du village. Il est arrivé ici, il y a 2 ans et a repris le restaurant suite au décès de Mme de Hautefeuille, il est de sa famille éloignée apparemment et il est noble lui aussi. Il a un accent, mais je ne sais plus d'où il vient en fait. Par contre j'ai essayé de le draguer plusieurs fois, rien à faire !
- Il est peut-être homo.
Orphel, non. Je ne l'ai jamais vue avec quelqu'un, à croire que personne ne trouve grâce à ses yeux. Il est gentil et serviable en tout cas Peut-être que toi, tu arriveras à le séduire. Il joue de la harpe et du violon divinement bien, il fait des concerts de musique folk avec son groupe de temps en temps ici au restaurant.
- Oh, je ne suis pas prête à me lancer dans une relation pour le moment. J'ai besoin de calme, de nature et d'eau douce.. Mais alors, il habite le château des Hautefeuilles dans la forêt ?
- Oui, et (dit-elle tout bas) il fait partie des activistes qui défendent la nature. Ils sont un peu bizarres, je trouve, ils ne restent qu'entre eux, on ne sait pas ce qu'ils font parfois dans la foret.
- Et toi, tu voulais qu'il me raccompagne à la cabane ? non non, je préfère y aller seule, c'est bien mieux !
- Je suis vraiment contente que tu sois revenu ici.
- Moi aussi, tu sais. Mais dis-moi tout le monde flippe de ce qui se passe dans la foret ou quoi ?
- Et bien oui ça parle pas mal.
Elle lui montra des coupures de journaux sur internet qui parlent de mutilation d'animaux, parfois même certains cadavres se retrouvent perché dans les arbres à des hauteurs vertigineuses. Une certaine psychose s'était installé dans le village, des randonneurs avaient disparu mystérieusement sans laisser de traces.
- Et moi, je décide de revenir et de m'installer dans la forêt. Je suis certaine que je vais me retrouver là-bas. La rivière me manque terriblement. Là où j'étais, il n'y a que du béton et des néons de nightclub.
- Je ferais bien la fête moi de temps en temps, ici, il n'y a rien du tout ! je connais une boite où on pourrait aller, si tu le veux ?
Vers 22h et malgré les recommandations d'Orphel et Lili, Naomi prend sa voiture et s'engouffre dans le chemin de la forêt. Elle allume les pleins phare, car il y fait totalement noir et elle ne veut pas croiser un loup ou un renard apeuré par le bruit de la voiture.
Au bout de 10 min, elle arrive à l'entrée d'un tout petit chemin pédestre par lequel elle ne peut aller en voiture. Elle prend sa valise à roulette du coffre et avec une lampe torche, elle s'enfonce encore plus dans la forêt. Il n'y a pas un bruit, ni grillons, ni la preuve d'une présence animale aux alentours. Elle n'entend que sa respiration et bruit des roulettes de la valise qui avance péniblement avec les herbes et les cailloux.
Bêtement, elle se met à repenser aux histoires de Lili. Elle se risque même à pointer sa lampe torche vers la cime des arbres avec la crainte d'y apercevoir une créature horrible en train de dévorer un mouton. Elle entend alors des craquements autour d'elle, comme si quelque chose de lourd marche à proximité. Elle se stoppe, pointe sa lampe vers les bruits, mais ne voit rien de particulier. Elle reprend son chemin avec prudence tout de même et au bout de cinq minutes, elle aperçoit la fin du chemin qui débouche sur la rivière. De petites lumières au sol jonche le chemin qui mène à un petit pont de bois qui traverse l'eau vive de la rivière et au bout l'ilot avec la cabane. Orphel lui avait indiqué qu'ils avaient installé des lampes solaires pour qu'elle puisse retrouver son chemin même en fin de journée dans la pénombre de la forêt.
Le pont n'est pas éclairé, c'est donc avec la plus grande des prudences qu'elle commence à le franchir en pointant sa lampe torche sur les planches. Le son de l'eau et son odeur typique de mousse est agréable. Ce qui l'est moins, c'est le vacarme que font les roues de sa valise sur le bois. Naomi a hâte de franchir le pont pour arrêter ce bruit et c'est là qu'elle entend un grognement menaçant derrière elle.
Sourd, guttural, une bête sans nul doute énorme.
Naomi continu d'avancer. Il y a quelques choses derrière les arbres à proximité du pont, il ne faut pas arrêter d'avancer et faire comme si de rien n'était tout en restant sur ses gardes.
La maison est juste là, à quelques pas. Il ne faut pas perdre son sang-froid.
Le grognement se fait de plus en plus intense alors que sa valise fait un vacarme épouvantable en roulant sur le pont de bois.
Elle accélère.
Elle est enfin devant le petit escalier de pierre qui monte à la terrasse juste avant la porte.
Elle prend la clef de la maison dans son sac à main et soulève sa valise pour ne pas perdre de temps à la faire rouler sur les marches.
C'est là que du coin de l'œil, elle aperçoit une masse énorme près de l'arbre qui borde le pont.
Son cœur bondit dans sa poitrine, la clef tombe sur une marche et elle manque de trébuchet avec sa valise. La masse grogne à nouveau et plus fort.
Naomi commence à avoir vraiment peur. Elle est dans le noir, en pleine nature, avec une bête non identifiable et agressive à ses trousses.
Elle arrive à ouvrir la porte du premier coup, entre et referme rapidement derrière elle.
La bête dehors à sauté sur le pont. Elle a des griffes qui frappent le bois à chaque pas
Naomi n'allume pas la lumière de suite, les voler sont tous fermés et elle ne peut pas voir si la chose s'avance vers la maison ou non.
Un énorme plouf se fait entendre, indiquant que la bête à sauté dans l'eau.
Plus rien.
Naomi reprend son souffle et se décide à allumer les lumières. Le salon chaleureux se découvre, elle le connait bien.
Quelle frayeur !, se dit-elle.
Le réfrigérateur est plein, charmante attention de la part des amis de sa maman.
Son téléphone se met à vibrer et elle sursaute.
Un message : " Tu es bien rentrée ? " C'est Lili.
Naomi lui répond rapidement sans évoquer la frayeur qu'elle vient d'avoir.
Elle décide de se faire un chocolat chaud réconfortant et le boit sur le canapé. Elle regarde autour d'elle, le parfait mélange de la pierre et du bois. Elle se sent comme rentrée à la maison.
Elle n'ouvrira pas les voler ce soir, mais elle peut entendre les grillons qui se mêlent aux murmures de l'eau vive de la rivière. Elle prend une douche chaude pour se délasser de sa journée et se détendre de ses émotions.
Un autre texto arrive : "faites de beaux rêves" signé Orphel.
Alors qu'elle se couche dans son lit douillet et qu'elle éteint la lumière de sa chambre, elle entend le hurlement d'un loup au loin.
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